MIA

Louis Eemans

(1920-2016)

Eemans

Début janvier disparaissait notre camarade Louis Eemans, dit P'tit Louis, qui consacra près de vingt ans à la mise en place et au développement du CERMTRI, au rassemblement d’un fonds unique sur l’histoire du mouvement ouvrier de XXe siècle, en particulier sur l’histoire des différents groupes et organisations se réclamant du trotskysme. Il nous a semblé que le meilleur moyen de lui rendre hommage était de lui laisser la parole en publiant l’entretien qu’il a accordé en 1999 au journal Informations ouvrières.

Quelle a été ta première rencontre avec la politique ?

Février 1934. J’avais quatorze ans et j’étais dans la même classe que Pierre Lambert, qui a été un camarade et un ami de toute la vie. Nous avons commencé à nous réunir à quelques-uns pour discuter. Nous avions aussi été frappés par les événements d’Autriche. Puis les choses se sont précisées. Il y a eu l’expérience du Front populaire. Les procès de Moscou. J’étais attiré par les idées que défendait Léon Trotsky et les militants qui s’en réclamaient.

Après le brevet, j’ai continué à étudier grâce à nos enseignants, à qui je tiens à rendre hommage. Puis, en 1938, j’ai été contraint de travailler. J’ai été employé dans une banque. Puis c’est la guerre. J’ai été mobilisé en 1940 (j’avais vingt ans), c’était précisément en juin 1940, et la caserne de Reuilly où j’étais convoqué ... était fermée. Après un bref exode, je suis revenu à Paris.

J’ai alors rencontré Lambert, qui venait de s’évader et qui m’a recruté à la IVe Internationale. Je rejoins donc les rangs d’une organisation trotskyste française dans la clandestinité, en septembre 1940. Nous n’étions pas beaucoup. A partir de 1941, nous avons commencé à diffuser - illégalement bien sûr - des tracts contre la guerre, le fascisme, pour l’unité des travailleurs. Cette activité s’est élargie. Et, à partir de1942, il y a eu une coopération avec l’autre organisation qui se réclamait du trotskysme, le Parti ouvrier internationaliste. Ce travail commun, après bien des discussions, a abouti à la fusion des deux groupes. C’est cela qui a donné naissance, en 1943, au Parti communiste internationaliste, dont nous sommes les continuateurs.

Je n’ai pas participé directement à cette étape. En mars 1943, le STO m’avait mis le grappin dessus. Et je me suis retrouvé à Brandebourg, en Allemagne, affecté à une usine. Là, on a poursuivi une activité limitée. On est parvenu à se réunir quelques fois à Berlin, et même à publier et à distribuer un tract pour défendre l’internationalisme prolétarien et l’unité ouvrière.

Et après la fin de la guerre ?

Je suis retourné à Paris et j’ai repris mon travail au Comptoir national d’escompte de Paris (CNEP). Bien sûr, j’ai aussi repris mon activité politique. Et je me suis engagé dans la construction du syndicat. J’ai adhéré à la CGT. J’ai été désigné comme collecteur de ma section syndicale au service des coupons. Nous étions vingt au départ, l’année suivante, il y avait quarante syndiqués et, un an plus tard, les effectifs de la section syndicale avaient encore doublé. Nous étions quatre-vingts.

En 1949, les responsables de la CGT de la banque, qui étaient aussi des militants du PCF, ont voulu m’exclure, à cause de ma position politique. Mais nombre de syndiqués ont résisté et cela n’a pas pu se faire. Pendant cette période, où le PCF et le PS étaient au gouvernement, où le PCF prônait le « produire d’abord » et déclarait que la grève, c’était l’arme des trusts, il y a pourtant eu de grandes grèves - comme celle de Renault en 1947. Mais il y a eu aussi des mouvements dans les banques, en septembre 1947, qui ont contraint le patronat à d’importantes concessions.

En 1948, qui a vu la première grande fracture dans le bloc stalinien, j’ai participé à la commission syndicale dirigée par Dumont et qui a été reçue par plusieurs dirigeants des syndicats yougoslaves. Le PCI a mobilisé 1500 jeunes pour travailler sur des chantiers en Yougoslavie.

Pendant ce temps-là, tu poursuis ton activité politique ?

Oui, je militais au sein du Parti communiste internationaliste, la section française de la IVe Internationale, je diffusais son hebdomadaire, La Vérité.

Les choses n’étaient pas faciles. La direction du PCF pratiquait contre nous une véritable « chasse aux sorcières ». La pression était très forte. Qui veut se faire une idée de cette période doit lire "Quelques enseignements de notre histoire". De nombreux camarades qui avaient courageusement combattu avec nous pendant la guerre renoncent. Puis il y a eu, en 1951-1952, une crise de la IVe Internationale qui aurait pu entraîner sa disparition, la crise que nous avons appelée « pabliste », parce qu’avec Mandel, l’un des principaux responsables du courant liquidateur s’appelait Pablo.

Pour eux, le stalinisme avait la tâche, avec ses moyens, d’avancer vers le socialisme.La majorité de la section française a résisté. Le camarade Pierre Lambert a joué alors un rôle décisif pour nous regrouper comme une organisation, pour tenir.

Les années qui ont suivi, jusqu’en 1958, ont été marquées par de grands événements de la lutte des classes internationale et, en France, par de puissants mouvements de classe (grève générale d’août 1953, grève de Nantes en 1955, etc.). Je pense aussi à l’extraordinaire mouvement des jeunes appelés, refusant la guerre d’Algérie. Mais ils ont été abandonnés et nous ne disposions pas d’une organisation assez forte. La grève des banques de juillet 1957 montre aussi les potentialités que contenait cette période. La grève est partie du CNEP où j’étais délégué du personnel. Commencée par les mécanographes, elle rassemble vite des milliers d’employés.

Et, pour la première fois, dans l’histoire de ce vénérable temple du Capitalisme, les travailleurs rassemblés dans le hall montent l’escalier d’honneur, dont les marches sont recouvertes de velours rouge et que, jusque-là, seule la direction empruntait. Au CNEP, nous avons constitué un véritable comité de grève.

La grève s’est ensuite étendue à d’autres banques. Les directions syndicales, qui avaient été absentes du mouvement, ont été contraintes de tenir compte de la volonté d’unité et de combat. La grève touchera la plupart des grandes banques à Paris, puis en province. Elle se poursuivra jusqu’à début août. Des augmentations salariales ont été arrachées, mais en deçà de ce qui était possible. C’est alors que j’ai été bureaucratiquement exclu de la CGT, non par une assemblée générale, mais par la commission exécutive pour « travail fractionnel ».

Et après ?

Plus tard, j’ai rejoint la CGT-FO. En 1968, lors de la grève générale, les employés des banques ont participé au mouvement, mais tardivement. C’est à partir d’un tract fédéral de FO adressé à tous les employés que les débrayages se sont étendus à toute la profession. J’ai poursuivi mon activité à la BNP. J’ai été secrétaire de la section syndicale, puis élu au CE. Le dernier grand mouvement dans les banques auquel j’ai participé, c’est la grève de 1974. Cette grève est partie du Crédit lyonnais, où elle avait été déclenchée avec notamment la participation des militants de Lutte ouvrière. Le Crédit lyonnais était occupé, mais la grève y restait limitée. Nous avons joué un rôle important dans sa généralisation. La grève a pris une dimension nationale. Les organisations syndicales ont réalisé l’unité, des assemblées générales ont rejeté les premières propositions patronales. La grève s’est encore élargie et a arraché de substantielles revendications.

En 1977, j’ai pris ma retraite.

Est-ce que cela a signifié la fin de ton activité ?

Non, j’ai participé à la constitution du Parti des travailleurs et, aujourd’hui, je suis membre du Parti ouvrier indépendant.

Je me suis particulièrement consacré, à partir de 1979, à assurer le développement du CERMTR1. Il me paraît essentiel de rétablir et de préserver la vérité de l’histoire du mouvement ouvrier. Je suis convaincu d’avoir fait là encore, un travail utile. En 1996, le camarade Levasseur a repris la responsabilité du CERMTRI.

Bio reprise du numéro 69 des "Cahiers du Mouvement Ouvrier"


Archive Louis Eemans :

La grève des banques de juillet 1957


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